Nous continuons notre série sur les dialogues entre Chine et France.
La blessure et la soif, de Laurence Plazenet
Lorsqu'une experte du Jansénisme et de Port Royal des Champs trempe sa plume à l'encre chinoise, cela donne cette chronologie intense du parcours de M. de la Tour, que l'amour interdit de Mme de Clermont pousse jusqu'en Chine.
Le premier grand mérite du roman sera donc de mettre en parallèle le parcours de deux gentilhommes, l'un français au siècle de Louis XIV, l'autre chinois sous la dynastie Ming. Plus encore, l'auteur révèle les traits communs de pratiques religieuses pourtant enracinées dans des traditions différentes. On voit alors avec surprise l'Occidental se conformer sans difficulté aux extrémités du rite ascétique de son contemporain. Au coeur d'un même siècle mais dans deux espaces différents, le roman détaille la même réponse du coeur humain aux contrariétés de l'amour sublime.
Car au-delà des similitudes de l'agir, c'est la symbiose du sentiment amoureux qui est aussi éclairée. Les deux éconduits - qu'ils le soient par le fait social ou la mort - partagent une communion dans l'amour initial, le déchirement de l'éloignement, et la culpabilité de l'échec ; enfin le désir absolu se mue en désir d'absolu illustrant une identique unité de la nature humaine par-delà les continents.
La langue vient également tout mêler : précise dans ses formules, elle se fait plus confuse dans la structure générale du roman. La chronologie, d'abord détaillée, s'efface peu à peu pour, à la manière de la palette du peintre, mélanger les époques, rapporter un peu de la pourpre orientale dans le bleu roi. Les couleurs d'hier sont toujours là et l'aurore de demain se puise au crépuscule d'aujourd'hui.
L'oeuvre vient donc tout condenser : l'espace, le temps (près de trente ans), et l'individu ramené à un tiraillement transcendental entre la blessure, la béance dans la Création, et la soif, l'aspiration vers le spirituel. Où que l'on soit.
Pour poursuivre la réflexion, la page Babelio de l'ouvrage et une émission de France Culture sur la notion de Force et son rapport à la Justice chez Pascal. Les Chemins de la Philosophie nous font redécouvrir le pragmatisme tranchant du Solitaire en la matière qui pourrait apporter un jour nouveau aux discussions contemporaines sur les différences entre traditions européennes et chinoises.
La blessure et la soif, de Laurence Plazenet, aux Editions Gallimard (2009), présenté ici dans la collection Folio. Dos carré collé.